Newsletter n. 11/22 – Frères condamnés
Les Evangiles de Matthieu (Mt 15.21ss) et de Marc (Mc 7, 25ss) racontent l’épisode de la Cananéenne qui demande à Jésus de guérir sa fille. La réunion a lieu dans les parties de Tyr et de Sidon, qui est un territoire païen également comme voie de transit pour de nombreuses populations méditerranéennes. Comme nous le savons, le dialogue est difficile; Jésus se montre d’abord réticent à accomplir le miracle, disant même: «Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël»; cependant, à la fin, l’amour et la compassion qui sont en lui, unis à la foi de la femme cananéenne, obtiennent ce qu’elle demande. La compassion, l’amour et la foi font “abandonner” Jésus.
L’Évangile a un épisode similaire, toujours en terre païenne (chap. 154): Jésus et les disciples sont à Césarée Maritima et Il prend l’initiative de parler aux forçats qui sont condamnés à la rame d’un navire militaire romain amarré dans le port; Il ne les voit pas et eux non plus ne Le voient pas; personne ne demande un miracle ou quelque chose comme ça. C’est Jésus – contre l’avis des apôtres, Pierre en tête – qui fait un geste qui se révélera compassion sans mesure.
Note latérale: les galeotti parlent probablement des langues différentes, Jésus – je suppose – il semble qu’il n’utilise que ’araméen, mais tout le monde comprend ce qu’il dit.
A la lecture de l’histoire, on s’implique immédiatement, d’abord par curiosité: que pourra-t-on jamais leur dire, pour les consoler de leur terrible drame, étant donné que seuls des morts ou des mourants sont sortis de la rame? Et quels arguments concrets aura-t-il utilisés? Au final aura-t-il obtenu des résultats? Nous n’avons pas de réponse à cette troisième question, cependant il est intéressant de comprendre la technique de Jésus, car en quelque sorte il y a ce que nous appelons maintenant “pastorale”.
Jésus commence ainsi: “Je veux dire, à ces malheureux que Dieu aime, […] de se résigner à leur douleur, […] de n’en faire qu’une flamme qui va bientôt s’éteindre les chaînes de la prison et de la vie, consumant ce jour pauvre qui est vie dans un désir de Dieu, […] pour entrer dans le jour de Dieu, lumineux, serein, sans peur ni langueur. Vous entrerez dans la grande paix, la liberté infinie du Paradis, […] o martyrs d’un destin douloureux, […] seulement que vous sachiez être bons dans vos souffrances et aspirer à Dieu”. Puis Il parle de Dieu et de l’âme.
C’est pourquoi Jésus leur parle surtout d’espérance en un seul Dieu qui les aime; d’un destin dans l’éternité, ce temps terrestre étant en lui-même insignifiant (“ce pauvre jour qu’est la vie, un jour sombre et orageux, plein de peurs et d’épreuves”); et la raison fondamentale: l’âme spirituelle qui a d’abord vu le Bien et le désire toujours, même si elle est écrasée par les vices humains et les méchancetés de toutes sortes. Parmi des personnes battues de toutes parts, sans espoir d’aucune sorte et enfermées dans une courte journée vraiment “infernale” – en fait morte à tout sens de la vie et de l’existence –, Jésus donne une alternative concrète, donnant une motivation forte: “Au-dessus de la justice humaine il y a une justice divine beaucoup plus élevée. Celle du vrai Dieu, du Créateur du roi et de l’esclave, du rocher et du grain de sable. Il vous regarde, vous de la rame et vous en charge de l’équipage, et malheur à vous si vous êtes cruels sans raison”. Pas de différence entre puissants et esclaves; tous égaux devant Dieu et dans son jugement parfait.
Jésus, avec une grande humilité, montre son impuissance en ce monde, mais indique une issue: “pour la liberté et la patrie de la Terre que je ne peux pas vous donner, pauvres hommes esclaves des puissants, je vous donnerai une plus haute liberté et la patrie”. Ce n’est pas la terre, mais le Ciel de Dieu et Dieu lui-même, qui sont le vrai but. Le reste est secondaire.
Enfin, avec des mots vraiment inouïs encore aujourd’hui, c’est ainsi que Jésus les appelle: “des frères condamnés qui ne voient pas mon visage et dont je n’ignore pas le cœur avec tous ses blessés”. Ce sont ses frères!, et non des esclaves ou pire encore.
Voici donc présenté toutes les prérogatives de l’Amour: “Souvenez-vous de mon Nom, enfants de Dieu qui pleurez. C’est le nom de l’Ami. Dites-le dans vos douleurs. Sois sûr que si tu m’aimes tu m’auras même si on ne se voit jamais sur Terre”. Jésus se révèle comme Frère et Ami.
La fin est courte, mais écrasante, pleine d’émotion et d’amour compatissant: “Je suis Jésus-Christ, le Sauveur, votre Amie. Au nom du vrai Dieu, je vous console. La paix soit sur vous bientôt”.
Nous pouvons déjà trouver les “indices” de ce qui (plusieurs) siècles plus tard se manifestera sous le nom de “Sacré-Cœur” et de “Divine Miséricorde”. S’il est vrai que nous ne sommes pas des forçats condamnés à la rame, il n’en demeure pas moins que la chair, le monde et le diable voudraient nous lier à l’orgueil de la terre, perdant tout espoir, y compris celui du pardon de Dieu. Jésus, par cette invitation à l’éternelle espérance, nous répète aussi les mêmes choses.